Un fournisseur de Cézanne : Chabod

02 septembre 2021
Paul Cézanne, Portrait de l'artiste regardant par-dessus son épaule, 1883-1884, huile sur toile, 25 x 25 cm. Athènes, Basil & Elise Goulandris Foundation.
Alexis Lemaistre, dessinateur, Huyot, graveur, Le père Chabod, reproduit dans Lemaistre, Alexis, L’École des Beaux-Arts dessinée et racontée par un élève, Paris, Librairie Firmin-Didot et Cie, 1889, p. 49.
Alexis Lemaistre, dessinateur, Huyot, graveur, Le père Chabod, reproduit dans Lemaistre, Alexis, L’École des Beaux-Arts dessinée et racontée par un élève, Paris, Librairie Firmin-Didot et Cie, 1889, p. 49.
Lettre de Paul Cézanne en date de Fontainebleau le 14 juillet 1905. Archives Lefrance Bourgeois Paris

Découvertes sur un des fournisseurs de Cézanne

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Le Guide Labreuche vous souhaite une excellente rentrée.

Nos travaux de création de contenus et d’investigation se poursuivent continuellement et sont l’occasion de nombreuses trouvailles qui enrichissent silencieusement le Guide Labreuche. Nous avons le plaisir aujourd’hui de partager quelques découvertes récentes concernant la maison Chabod. Le nom de ce commerçant est connu des spécialistes et des familiers de Cézanne, l’artiste s’étant parfois fourni chez lui et appréciant particulièrement certaines de ses couleurs.
Chabod, dit « le père Chabod » comme il y eut un « père Tanguy » (autre marchand de Cézanne), avait depuis longtemps un visage et une silhouette, immortalisés par un des élèves de l’École des beaux-arts de Paris, Alexis Lemaistre. Ce dernier nous a aussi laissé une évocation savoureuse des visites du père Chabod dans les ateliers, pour approvisionner les élèves en tubes, toiles, etc. (voir document).
Nous en savons désormais plus sur le parcours du père Chabod, son état civil et sa biographie.

Jean Michel Chabod (1829-1892) était un immigré italien, issu du val d’Aoste, comme nombre des marchands de couleurs parisiens des XIXe et XXe siècles (nous l’avons déjà évoqué dans d’autres articles et y reviendrons plus longuement).
Il est né le 4 octobre 1819 à Courmayeur (Italie) et était le fils de Jean Antoine Chabod et Catherine Belfrond.
Nous ne savons pas à quelle date Chabod est arrivé à Paris, mais il y est déjà établi à l’âge de 28 ans, comme l’indique l’acte de son premier mariage. En effet, en janvier 1848, Chabod, alors domicilié 20, rue Montmartre et exerçant le métier de broyeur de couleurs, épouse Catherine Bailly, giletière, demeurant à la même adresse. Quelques années plus tard, en 1855, Chabod a également une activité d’encadreur, et il loue un local au 15, rue de Buci (l’actuel numéro 13 de la rue de Buci). De 1855 à 1877, le bail de cet atelier du troisième étage sur cour reste au nom de Chabod. Chabod est donc le voisin du marchand de couleurs Bovard, qui tient boutique au rez-de-chaussée de ce même immeuble du 15, rue de Buci. Aussi, lorsqu’en 1863 Bovard cesse son activité, c’est Chabod qui est le repreneur du commerce. L’ancien broyeur puis encadreur devient ainsi « marchand de couleurs fines », profession déclarée lors de son second mariage en 1872.
Devenu veuf de Catherine Bailly, Chabod épouse en secondes noces une jeune fille originaire d’Alsace (Offenheim, dans le Bas-Rhin), elle aussi giletière, comme l’épouse décédée. Sa seconde épouse se nomme Marie Anne Blaes, et est alors âgée de vingt-sept ans, Chabod étant alors dans sa cinquante-troisième année. La boutique reste quelque temps encore rue du Buci, puis en 1877 est déménagée au 20, rue Jacob, ce qui la rapproche encore un peu de l’École des beaux-arts : il ne faut désormais parcourir que 200 mètres pour se rendre de l’un à l’autre lieu. Les élèves ne manqueront pas d’utiliser le matériel de Chabod, comme l’attestent les témoignages écrits (voir document), ainsi que les marques au dos de toiles utilisées lors des concours de prix, par exemple.
Chabod va diriger son commerce jusqu’à son décès, en septembre 1892. L’activité est continuée par sa veuve Marie Anne Chabod, née Baes, sous des dénominations variables (maison Chabod, veuve Chabod, veuve M. Chabod), avant d’être reprise par Nicolas Abel Vignol en 1906 ou peu avant. L’activité de toiles et couleurs fait faillite en 1913, mais Vignol va conserver les locaux du 20, rue Jacob, où il tient une galerie de tableaux jusqu’à 1935 au moins.

Pour plus de détails, retrouvez les pages consacrées à la maison à Paul Cézanne et ses fournisseurs, et à la Maison Bovard, Chabod, Vignol dans le Guide Labreuche, https://www.guide-labreuche.com.

Documents

1. Lettre inédite de Paul Cézanne

Une lettre inédite de Paul Cézanne, dont le fac-simile est conservé dans les archives Lefranc Bourgeois Paris (reproduction ci-contre), montre la fidélité de l’artiste à la maison Chabod et sa prédilection pour certaines de ses couleurs. En juillet 1905, séjournant à Fontainebleau, Cézanne passe commande de 5 tubes de laque brûlée numéro 7 de la maison Chabod. Peu avant sa mort, Cézanne se fournissait encore dans la même maison, comme l’indique une lettre septembre 1906 à son fils mentionnant des couleurs renvoyées à Vignol (1).

« Fontainebleau, 14 juillet 1905

Monsieur, —

J’ai reçu vos divers envois
et viens vous prier de
m’expédier :

5 Laque brulée   7 maison
                              Chabod
5 vert véronèse      7 ou 8
       de chez Bourgeois
et 5 cobalt de la même
       maison, même numéro

       Veuillez agréer, monsieur
       mes salutations distinguées
            P. Cezanne »

 
 
            (1) Elisabeth, Reissner, "Ways of Making: Practice and Innovation in Cézanne's Painting in the National Gallery", National Gallery Technical Bulletin, vol. 29, 2008, p. 4-30.

2. Témoignage d’Alexis Lemaistre

"LE MARCHAND DE COULEURS. Après les modèles, les seules personnes à qui il soit permis de pénétrer dans les ateliers pendant les séances sont les marchands de couleurs et les marchands de photographies, documents artistiques, etc. — Nous retrouverons ces derniers dans les ateliers d'architecture. Parmi les marchands de couleurs, la première place revient de droit au père Chabod, leur doyen, le préféré des élèves. Non qu'il vende meilleur marché que les autres ses tubes de cobalt ou de laque fine ; mais il est bon vivant, il sait rire aux plaisanteries, et il accepte de la meilleure grâce du monde les épithètes fantaisistes dont on agrémente parfois son nom ; de plus, ses couleurs sont bonnes ; et puis, — et voilà le secret de sa popularité, — il fait crédit, largement, à tout élève de l'École. Il vient régulièrement tous les lundis, et, une fois ou deux par semaine, il passe voir si quelques-uns de ses amis les peintres ne manquent de rien. Il s'en assure lui-même, leur épargne toute peine, et visite les boîtes à couleurs ouvertes sur les tabourets. — Tiens ! Vous n'avez plus de noir de pêche ?... Et, vous, plus de brun rouge ?... Ah ! si je n'étais pas venu, il ne vous serait pas resté assez d'ocre jaune pour finir votre figure... Bref, c'est une incarnation de la Providence que le père Chabod. — Une drôle d'incarnation par exemple ! Trapu, solide, avec de petits yeux malins dans une grosse figure fraîche encadrée d'une épaisse barbe grise, réjouissant à voir quand, une large boîte à couleur sur le dos, un paquet toiles sous chaque bras, il oppose son gros rire à une grêle de calembredaines. Quelquefois un concurrent vient offrir sa marchandise. — Pas besoin de couleurs, Messieurs ? Mais il a beau étaler ses tubes, personne ne le regarde ; et, si l'on apprend que le père Chabod est dans l'atelier voisin, tout le monde se met à hurler : — Ohé ! Chabod ! Les cris durent jusqu'à ce que, réjoui, triomphant, Chabod fasse son entrée... Sur quoi, le concurrent plie bagages, et s'en va."
 
Source : Alexis Lemaistre, L’École des Beaux-Arts dessinée et racontée par un élève, librairie Firmin-Didot et Cie, 1889, p. 43-44.

Du nouveau sur un des fournisseurs de van Gogh à Paris : Hofer frères

23 décembre 2020
Vincent van Gogh, Vue des toits de Paris (rue Lepic), mars-avril 1887, huile sur toile, 45,9 x 38,1 cm. Van Gogh Museum, Amsterdam (Vincent van Gogh Foundation), s0057V1962, F341, JH1242.
Hofer frères, publicité parue dans Salon de 1888. Catalogue illustré. Peinture & Sculpture, Paris, Librairie d’art Ludovic Baschet, 1888, p. 365.
Hofer frères, publicité parue dans l’Amateur photographe, 5e année, nouvelle série, supplément au numéro du 15 avril 1889.

Les études sur van Gogh, sa technique, sa palette, ses supports, ses procédés de création, l’établissement minutieux de sa bio-chronologie et de sa correspondance, ont produit une masse impressionnante de connaissances au cours des dernières décennies. À tel point que l’on peut se demander s’il existe actuellement un autre artiste aussi complètement étudié et documenté. Pour ce qui relève des aspects techniques et matériels de l’œuvre, citons surtout les remarquables travaux d’Ella Hendriks, Muriel Geldof et Louis van Tilborgh. Ces chercheurs ont établi la liste des fournisseurs parisiens du peintre, sur la base de marques ou étiquettes de support, ou d’autres sources : Dubus, Fermine, Hardy-Alan, Hennequin, Latouche, Hofer frères, Rey et Perrod, Pignel-dupont, Tanguy, Tasset et Lhote.

Sur ces dix boutiques, sept ont en commun d’avoir été des commerces de proximité pour Vincent van Gogh (à retrouver ici), pendant la courte période de février 1886 à février 1888 où il habita chez Theo, rue de Laval (actuelle rue Victor-Massé) puis rue Lepic.

Sans pour autant considérer la proximité des sources d’approvisionnement comme le seul facteur présidant au choix des supports et autres fournitures, on constate qu’il s’agit d’un critère décisif dans le cas de cet artiste, pendant son séjour parisien.

Hofer frères constitue apparemment, avec Dubus et Hardy-Alan, un des trois « intrus » parmi le groupe des boutiques de voisinage. Or, ce n’est peut-être pas le cas selon des éléments nouveaux.

Hofer frères (à retrouver ici) est le dernier représentant de la maison Belot-Vallé-Bellavoine, qui remonte à 1768 environ. Blottie pendant plus d’un siècle contre le chevet de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, la boutique a franchi la Seine en 1871 pour la rue des Grands-Augustins, près du Pont-Neuf. Cette maison est typique des fabricants traditionnels du quartier du Louvre, fournisseurs privilégiés des académiciens, des élèves de l’école des beaux-arts, et d’une clientèle plutôt aisée. A contrario, les années impressionnistes voient l’apparition de nouveaux commerces, qui suivent le déplacement du centre de gravité de certaines colonies d’artistes vers le nord : les quartiers de la Nouvelle Athènes, des Batignolles, Saint-Georges, Montmartre.

Hofer frères a visiblement tenté une mue pour s’adapter à de nouvelles consommations et à une nouvelle géographie du marché. L’entreprise se diversifie dans la fabrication et la vente du matériel photographique, et, début 1887, dépose trois marques de fabrique pour ses plaques sensibles au gélatino-bromure, tout en important du matériel anglais. Elle se rapproche aussi des quartiers d’une nouvelle clientèle d’artistes.

C’est ainsi qu’elle va ouvrir une succursale au 83, rue Blanche (Place Blanche), en face du débouché de la rue Lepic — où Theo et Vincent van Gogh résidaient depuis début juin 1886, au numéro 54. Ce sont des publicités parues entre 1888 et 1890 qui apportent cette information, ainsi qu’une unique mention dans l’Annuaire-Almanach du commerce, de l’industrie (…) (Didot-Bottin) de 1889.

Une difficulté demeure à ce jour : nous ne trouvons pas la trace de l’ouverture de la succursale de la place Blanche avant le printemps 1888, alors même que les marques Hofer frères se trouvent au dos d’œuvres datant de 1887 (F266a, F378, F380), voire de 1886 (F273), et que van Gogh va quitter Paris en février 1888. Il est possible que les supports utilisés par van Gogh proviennent de la rue des Grands-Augustins ou que des toiles fabriquées par Hofer frères aient été revendues chez divers marchands de couleurs dans Paris. Il est possible aussi que l’ouverture de la boutique de la place Blanche soit antérieure à 1888, et remonte à 1886 ou 1887. Nous espérons en découvrir une preuve documentaire dès la réouverture des archives de Paris, actuellement fermées en raison de la pandémie. Nous vous tiendrons immédiatement informés.

Lefranc Bourgeois, 300 ans

30 novembre 2020
Eugène-Charles-Paul Vavasseur (1863-1949), projet de panneau publicitaire et de couverture de catalogue représentant une femme à la palette, vers 1900-1905, fusain et détrempe sur papier, morceaux de papier rapportés et collés pour le lettrage

L’année 2020, qui est malheureusement pour chacun d’entre nous marquée du sceau de la pandémie, est aussi celle d’une commémoration qui a toute sa place dans ce Guide. 2020 est le millésime du tricentenaire de la célèbre maison Lefranc Bourgeois Paris, dont la première trace remonte à l’année 1720. En vue de célébrer l’événement, un travail de longue haleine a été mené dans les archives de l’entreprise, et la rédaction du Guide Labreuche a été associée à ce chantier. Toute l’année 2020 a été marquée par une campagne de communication, couronnée cet été par un numéro spécial du magazine Pratique des Arts, entièrement consacré aux 300 ans de l’entreprise. Ce numéro contient des synthèses historiques, la reproduction des plus beaux documents d’archive, la rencontre avec des artistes, avec les dirigeants de la firme, ses consultants et experts. Vous pouvez en visualiser des extraits ici.

Retrouvez l’historique de la maison Lefranc Bourgeois dans ce Guide, dont les pages vont continuer de s’enrichir de références et d’images nouvelles.

Lefranc Bourgeois, 300 ans

30 novembre 2020
Lefranc - 1937 - publicité, Salon

Publicité parue dans le catalogue du Salon de 1937.