Les études sur van Gogh, sa technique, sa palette, ses supports, ses procédés de création, l’établissement minutieux de sa bio-chronologie et de sa correspondance, ont produit une masse impressionnante de connaissances au cours des dernières décennies. À tel point que l’on peut se demander s’il existe actuellement un autre artiste aussi complètement étudié et documenté. Pour ce qui relève des aspects techniques et matériels de l’œuvre, citons surtout les remarquables travaux d’Ella Hendriks, Muriel Geldof et Louis van Tilborgh. Ces chercheurs ont établi la liste des fournisseurs parisiens du peintre, sur la base de marques ou étiquettes de support, ou d’autres sources : Dubus, Fermine, Hardy-Alan, Hennequin, Latouche, Hofer frères, Rey et Perrod, Pignel-dupont, Tanguy, Tasset et Lhote.
Sur ces dix boutiques, sept ont en commun d’avoir été des commerces de proximité pour Vincent van Gogh (à retrouver ici), pendant la courte période de février 1886 à février 1888 où il habita chez Theo, rue de Laval (actuelle rue Victor-Massé) puis rue Lepic.
Sans pour autant considérer la proximité des sources d’approvisionnement comme le seul facteur présidant au choix des supports et autres fournitures, on constate qu’il s’agit d’un critère décisif dans le cas de cet artiste, pendant son séjour parisien.
Hofer frères constitue apparemment, avec Dubus et Hardy-Alan, un des trois « intrus » parmi le groupe des boutiques de voisinage. Or, ce n’est peut-être pas le cas selon des éléments nouveaux.
Hofer frères (à retrouver ici) est le dernier représentant de la maison Belot-Vallé-Bellavoine, qui remonte à 1768 environ. Blottie pendant plus d’un siècle contre le chevet de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, la boutique a franchi la Seine en 1871 pour la rue des Grands-Augustins, près du Pont-Neuf. Cette maison est typique des fabricants traditionnels du quartier du Louvre, fournisseurs privilégiés des académiciens, des élèves de l’école des beaux-arts, et d’une clientèle plutôt aisée. A contrario, les années impressionnistes voient l’apparition de nouveaux commerces, qui suivent le déplacement du centre de gravité de certaines colonies d’artistes vers le nord : les quartiers de la Nouvelle Athènes, des Batignolles, Saint-Georges, Montmartre.
Hofer frères a visiblement tenté une mue pour s’adapter à de nouvelles consommations et à une nouvelle géographie du marché. L’entreprise se diversifie dans la fabrication et la vente du matériel photographique, et, début 1887, dépose trois marques de fabrique pour ses plaques sensibles au gélatino-bromure, tout en important du matériel anglais. Elle se rapproche aussi des quartiers d’une nouvelle clientèle d’artistes.
C’est ainsi qu’elle va ouvrir une succursale au 83, rue Blanche (Place Blanche), en face du débouché de la rue Lepic — où Theo et Vincent van Gogh résidaient depuis début juin 1886, au numéro 54. Ce sont des publicités parues entre 1888 et 1890 qui apportent cette information, ainsi qu’une unique mention dans l’Annuaire-Almanach du commerce, de l’industrie (…) (Didot-Bottin) de 1889.
Une difficulté demeure à ce jour : nous ne trouvons pas la trace de l’ouverture de la succursale de la place Blanche avant le printemps 1888, alors même que les marques Hofer frères se trouvent au dos d’œuvres datant de 1887 (F266a, F378, F380), voire de 1886 (F273), et que van Gogh va quitter Paris en février 1888. Il est possible que les supports utilisés par van Gogh proviennent de la rue des Grands-Augustins ou que des toiles fabriquées par Hofer frères aient été revendues chez divers marchands de couleurs dans Paris. Il est possible aussi que l’ouverture de la boutique de la place Blanche soit antérieure à 1888, et remonte à 1886 ou 1887. Nous espérons en découvrir une preuve documentaire dès la réouverture des archives de Paris, actuellement fermées en raison de la pandémie. Nous vous tiendrons immédiatement informés.