02 septembre 2021
Alexis Lemaistre, dessinateur, Huyot, graveur, Le père Chabod, reproduit dans Lemaistre, Alexis, L’École des Beaux-Arts dessinée et racontée par un élève, Paris, Librairie Firmin-Didot et Cie, 1889, p. 49.
Alexis Lemaistre, dessinateur, Huyot, graveur, Le père Chabod, reproduit dans Lemaistre, Alexis, L’École des Beaux-Arts dessinée et racontée par un élève, Paris, Librairie Firmin-Didot et Cie, 1889, p. 49.
Lettre de Paul Cézanne en date de Fontainebleau le 14 juillet 1905. Archives Lefrance Bourgeois Paris

Découvertes sur un des fournisseurs de Cézanne

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Nos travaux de création de contenus et d’investigation se poursuivent continuellement et sont l’occasion de nombreuses trouvailles qui enrichissent silencieusement le Guide Labreuche. Nous avons le plaisir aujourd’hui de partager quelques découvertes récentes concernant la maison Chabod. Le nom de ce commerçant est connu des spécialistes et des familiers de Cézanne, l’artiste s’étant parfois fourni chez lui et appréciant particulièrement certaines de ses couleurs.
Chabod, dit « le père Chabod » comme il y eut un « père Tanguy » (autre marchand de Cézanne), avait depuis longtemps un visage et une silhouette, immortalisés par un des élèves de l’École des beaux-arts de Paris, Alexis Lemaistre. Ce dernier nous a aussi laissé une évocation savoureuse des visites du père Chabod dans les ateliers, pour approvisionner les élèves en tubes, toiles, etc. (voir document).
Nous en savons désormais plus sur le parcours du père Chabod, son état civil et sa biographie.

Jean Michel Chabod (1829-1892) était un immigré italien, issu du val d’Aoste, comme nombre des marchands de couleurs parisiens des XIXe et XXe siècles (nous l’avons déjà évoqué dans d’autres articles et y reviendrons plus longuement).
Il est né le 4 octobre 1819 à Courmayeur (Italie) et était le fils de Jean Antoine Chabod et Catherine Belfrond.
Nous ne savons pas à quelle date Chabod est arrivé à Paris, mais il y est déjà établi à l’âge de 28 ans, comme l’indique l’acte de son premier mariage. En effet, en janvier 1848, Chabod, alors domicilié 20, rue Montmartre et exerçant le métier de broyeur de couleurs, épouse Catherine Bailly, giletière, demeurant à la même adresse. Quelques années plus tard, en 1855, Chabod a également une activité d’encadreur, et il loue un local au 15, rue de Buci (l’actuel numéro 13 de la rue de Buci). De 1855 à 1877, le bail de cet atelier du troisième étage sur cour reste au nom de Chabod. Chabod est donc le voisin du marchand de couleurs Bovard, qui tient boutique au rez-de-chaussée de ce même immeuble du 15, rue de Buci. Aussi, lorsqu’en 1863 Bovard cesse son activité, c’est Chabod qui est le repreneur du commerce. L’ancien broyeur puis encadreur devient ainsi « marchand de couleurs fines », profession déclarée lors de son second mariage en 1872.
Devenu veuf de Catherine Bailly, Chabod épouse en secondes noces une jeune fille originaire d’Alsace (Offenheim, dans le Bas-Rhin), elle aussi giletière, comme l’épouse décédée. Sa seconde épouse se nomme Marie Anne Blaes, et est alors âgée de vingt-sept ans, Chabod étant alors dans sa cinquante-troisième année. La boutique reste quelque temps encore rue du Buci, puis en 1877 est déménagée au 20, rue Jacob, ce qui la rapproche encore un peu de l’École des beaux-arts : il ne faut désormais parcourir que 200 mètres pour se rendre de l’un à l’autre lieu. Les élèves ne manqueront pas d’utiliser le matériel de Chabod, comme l’attestent les témoignages écrits (voir document), ainsi que les marques au dos de toiles utilisées lors des concours de prix, par exemple.
Chabod va diriger son commerce jusqu’à son décès, en septembre 1892. L’activité est continuée par sa veuve Marie Anne Chabod, née Baes, sous des dénominations variables (maison Chabod, veuve Chabod, veuve M. Chabod), avant d’être reprise par Nicolas Abel Vignol en 1906 ou peu avant. L’activité de toiles et couleurs fait faillite en 1913, mais Vignol va conserver les locaux du 20, rue Jacob, où il tient une galerie de tableaux jusqu’à 1935 au moins.

Pour plus de détails, retrouvez les pages consacrées à la maison à Paul Cézanne et ses fournisseurs, et à la Maison Bovard, Chabod, Vignol dans le Guide Labreuche, https://www.guide-labreuche.com.

Documents

1. Lettre inédite de Paul Cézanne

Une lettre inédite de Paul Cézanne, dont le fac-simile est conservé dans les archives Lefranc Bourgeois Paris (reproduction ci-contre), montre la fidélité de l’artiste à la maison Chabod et sa prédilection pour certaines de ses couleurs. En juillet 1905, séjournant à Fontainebleau, Cézanne passe commande de 5 tubes de laque brûlée numéro 7 de la maison Chabod. Peu avant sa mort, Cézanne se fournissait encore dans la même maison, comme l’indique une lettre septembre 1906 à son fils mentionnant des couleurs renvoyées à Vignol (1).

« Fontainebleau, 14 juillet 1905

Monsieur, —

J’ai reçu vos divers envois
et viens vous prier de
m’expédier :

5 Laque brulée   7 maison
                              Chabod
5 vert véronèse      7 ou 8
       de chez Bourgeois
et 5 cobalt de la même
       maison, même numéro

       Veuillez agréer, monsieur
       mes salutations distinguées
            P. Cezanne »

 
 
            (1) Elisabeth, Reissner, "Ways of Making: Practice and Innovation in Cézanne's Painting in the National Gallery", National Gallery Technical Bulletin, vol. 29, 2008, p. 4-30.

2. Témoignage d’Alexis Lemaistre

"LE MARCHAND DE COULEURS. Après les modèles, les seules personnes à qui il soit permis de pénétrer dans les ateliers pendant les séances sont les marchands de couleurs et les marchands de photographies, documents artistiques, etc. — Nous retrouverons ces derniers dans les ateliers d'architecture. Parmi les marchands de couleurs, la première place revient de droit au père Chabod, leur doyen, le préféré des élèves. Non qu'il vende meilleur marché que les autres ses tubes de cobalt ou de laque fine ; mais il est bon vivant, il sait rire aux plaisanteries, et il accepte de la meilleure grâce du monde les épithètes fantaisistes dont on agrémente parfois son nom ; de plus, ses couleurs sont bonnes ; et puis, — et voilà le secret de sa popularité, — il fait crédit, largement, à tout élève de l'École. Il vient régulièrement tous les lundis, et, une fois ou deux par semaine, il passe voir si quelques-uns de ses amis les peintres ne manquent de rien. Il s'en assure lui-même, leur épargne toute peine, et visite les boîtes à couleurs ouvertes sur les tabourets. — Tiens ! Vous n'avez plus de noir de pêche ?... Et, vous, plus de brun rouge ?... Ah ! si je n'étais pas venu, il ne vous serait pas resté assez d'ocre jaune pour finir votre figure... Bref, c'est une incarnation de la Providence que le père Chabod. — Une drôle d'incarnation par exemple ! Trapu, solide, avec de petits yeux malins dans une grosse figure fraîche encadrée d'une épaisse barbe grise, réjouissant à voir quand, une large boîte à couleur sur le dos, un paquet toiles sous chaque bras, il oppose son gros rire à une grêle de calembredaines. Quelquefois un concurrent vient offrir sa marchandise. — Pas besoin de couleurs, Messieurs ? Mais il a beau étaler ses tubes, personne ne le regarde ; et, si l'on apprend que le père Chabod est dans l'atelier voisin, tout le monde se met à hurler : — Ohé ! Chabod ! Les cris durent jusqu'à ce que, réjoui, triomphant, Chabod fasse son entrée... Sur quoi, le concurrent plie bagages, et s'en va."
 
Source : Alexis Lemaistre, L’École des Beaux-Arts dessinée et racontée par un élève, librairie Firmin-Didot et Cie, 1889, p. 43-44.